La présence de l’armée polonaise en Sarthe

Une histoire européenne et locale

L’association Kultura Polska se fixe pour objectif de faire connaitre ce qui est français en Pologne et ce qui est polonais en France. Rencontre avec Alicja Trojanowska, présidente de l’association et membre de la Maison de l’Europe Le Mans-Sarthe.

Pouvez-vous brièvement présenter l’association Kultura Polska ?

Kultura Polska est une Association loi de 1901, créée pour le développement et la propagation de la culture polonaise et française dans toute l’Europe. Elle construit des ponts entre les pays et, principalement, entre la France et la Pologne.

Apolitique et non confessionnelle, elle s’adresse à toutes personnes intéressées par la culture et l’histoire. Son activité première est de propager ce qui est français en Pologne et ce qui est polonais en France. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter notre site internet : associationkulturapolska.wordpress.com

Pour quelles raisons dit-on que l’armée polonaise est née en Sarthe ?

Parce qu’elle a vu ses débuts en Sarthe. C’est une belle histoire sarthoise, à dimension européenne, voire mondiale. Petit rappel historique.

Par décret présidentiel du 4 juin 1917, le président de la République Française de l’époque, Raymond Poincaré, ordonne la constitution d’une armée polonaise en France. C’est la seule institution polonaise reconnue par tous les Alliés alors que l’état polonais n’existe plus depuis plus de 123 ans, dépecé entre la Prusse, l’Autriche et  la Russie. Elle porte le nom d’Armée Bleue, en référence à la couleur de ses uniformes. Elle est aussi appelée Armée de Haller, du nom de son commandant en chef polonais, le général Józef Haller. Trois semaines après le décret, les premiers volontaires polonais arrivent en Sarthe, d’Amérique puis … du monde entier.

Un bureau du recrutement s’ouvre au Mans. Le premier camp militaire s’ouvre à Sillé le 27 juin 1917. Le 8 janvier 1918, le 1er Régiment de Chasseurs Polonais (R.C.P.) est constitué au camp « Petit Bonheur » à Sillé le Guillaume. A partir de 1918, l’artillerie polonaise moderne voit le jour à la caserne Cavaignac (dans l’ancien bâtiment du Lycée Touchard, aujourd’hui affecté à la gendarmerie). En 1918 près de 1400 soldats polonais venus du Canada et des USA sont cantonnés à Mamers, à la caserne Gaulois, où ils suivent leur instruction. Puis d’autres formations sont créées plus ou moins loin de la Sarthe. La cavalerie polonaise à Alençon, les chasseurs polonais à Laval et à Mayenne, l’aviation à Pau. Une multitude de camps polonais d’instruction et d’entraînement s’ouvrent ensuite, d’abord en Bretagne, puis dans toute la France. La Grande Guerre est une guerre fratricide pour les Polonais car ils sont enrôlés, souvent de force, dans toutes les armées prenant part au conflit.

La présence de l’armée polonaise en Sarthe, toute une histoire avec l’association Kultura Polska

De nombreux volontaires polonais sont “Venus pour libérer la Pologne” et sont “Morts pour la défense de la France” comme cela est écrit sur la plaque commémorative que l’on peut voir encore aujourd’hui à l’église de Sillé-le-Guillaume. Les tombes de militaires polonais au cimetière de Sillé en sont les témoins tout comme celles au carré militaire au cimetière de l’ouest au Mans où nous aimerions ériger une stèle à leur mémoire. Ces soldats polonais morts en 1918 sont les seuls parmi tous les soldats étrangers morts pour la France à ne pas en avoir. Nous avons déposé une demande officielle bien avant 2017 et nous avons eu un accord ministériel. Mais la réponse locale se fait toujours attendre…

Comment cette mémoire est-elle encore aujourd’hui entretenue ?

Kultura Polska, détentrice de deux labellisations de la Mission Nationale du Centenaire 1914-1918, a réveillé cette mémoire “oubliée”. Depuis, elle œuvre pour que cette mémoire une fois “réveillée” ne retombe dans l’oubli pour les cent prochaines années.

Tous les ans, depuis 2014, une semaine de commémorations est organisée autour du 4 juin. En 2020, à cause de la pandémie, une seule journée de manifestations a été possible. Des traces matérielles,  pour “baliser” cette mémoire, comme des publications, des érections de stèles (Rouillon-en-Champagne, Domfront en Poiré), d’appositions de plaques commémoratives (cathédrale du Mans, Sillé-le-Guillaume), sont créées. Des échanges scolaires et des voyages associatifs à thème sont organisés, ainsi que de nombreuses conférences, présentations de films, expositions, ouverts à tous et gratuits.

Aujourd’hui, dans le monde moderne, quels sont les ponts qui unissent la Pologne et la France/Sarthe ?

Souvent, c’est le passé qui détient les clés de l’avenir. Comme la terre des vaincus n’est jamais sacrée, des milliers de Polonais émigrent en France à partir du XVIII siècle car la Pologne, ancienne grande  puissance, a disparu totalement de la carte de l’Europe en 1795 pour 123 ans. C’est le cas de Marie Curie née Skłodowska, Frédéric Chopin, le général d’empire Jean-Henri Dombrowski, le Prince et maréchal d’empire Józef Poniatowski… La France est une vraie terre d’accueil pour ces errants polonais des  temps modernes, chassés brutalement de leur pays par les occupants allemands, autrichiens et russes. En 1919, la Pologne renaissante et reconnaissante signe une convention pour envoyer massivement des milliers de travailleurs polonais en France, à court d’hommes en âge de travailler. Pour reconstruire la France, les Polonais travaillent ardemment dans  l’industrie lourde, dans les mines, mais aussi à la fonderie d’Antoigné à Ste Jammes s/Sarthe et dans les fermes sarthoises. Vingt ans après, en 1939, Angers devient “la capitale polonaise” abritant le gouvernement polonais en exil et son importante armée. Sans rancune pour ceux qui ne voulaient pas mourir pour Gdansk (en polonais) mais que vous situerez mieux avec le  nom allemand  “Danzing”, les Polonais versent encore une fois leur sang pour défendre la France. Après l’Armistice, ils rejoignent l’Angleterre pour continuer le combat.

Puis arrive le communiste à la russe, imposé aux Polonais à la fin de deuxième guerre mondiale par les Alliés pour satisfaire Staline. S’ensuit une autre grande vague d’émigration. Puis le mouvement “Solidarnosc”, couronné par la chute du mur de Berlin.

Aujourd’hui, il y a des centaines de milliers de ces descendants d’émigrés. Ils sont drôlement attachés à la culture de leurs aïeuls polonais.  Je reçois de plus en plus de demandes en tant qu’enseignante en langue polonaise, Pourquoi ? L’explication est simple: les grands-parents parlant polonais ne sont plus de ce monde, les parents, dans leur course à l’intégration totale dans la société française ont zappé l’apprentissage de cette belle mais difficile langue slave et aujourd’hui,  les petits enfants ou arrière-petits-enfants recherchent leurs racines. Et cette quête d’identité passe par la réappropriation de la culture et de la langue polonaise.

Alicja Trojanowska vous connaissez bien ces deux pays, qu’est-ce que signifie l’Europe pour vous ?

La paix, la liberté et la diminution de la distance géographique, politique, ethnique, dans le sens grec du mot “ethno” ( έθνος, peuple, nation, ethnie) .

Pour la première fois, je suis venue en France en 1977. En train.  En échange scolaire entre les lycées du Mans et de Szczecin. Le voyage a été très très long. La France était si loin. Le capitalisme et le communisme s’affrontaient dans tous les domaines : sportif, militaire, modèles de société et j’en passe. Le rideau de fer séparait le monde. Il y avait une attente interminable aux frontières de chaque pays et particulièrement en Allemagne de l’Est où les contrôles tatillons n’étaient là que pour vous dissuader de voyager. Les barbelés, les miradors, les miroirs passés sous les voitures, les fouilles au corps, les Vopos avec leurs méchants molosses n’étaient là que pour empêcher les candidats de l’Est de passer à l’Ouest. Passer la frontière clandestinement  pouvait se révéler mortel…Si à l’époque, quelqu’un m’avait dit qu’un jour je me déplacerais librement en Europe sans frontières et même sans passeport, avec une simple carte d’identité en poche, je ne l’aurais pas cru.

Alicja Trojanowska Duluc, traductrice, interprète, enseignante en polonais.

Article publié le 10/05/2021