Marc Joulaud souhaite mettre un terme au Far West numérique

La directive sur le droit d’auteur divise

Le projet de Directive européenne “copyright” a été voté au Parlement européen le 12 septembre 2018. Ce texte fait l’objet d’intenses opérations de lobbying, issues des groupes de presse d’une part et des géants du Net de l’autre tandis que le texte est défendu par des eurodéputés français comme Pervenche Berès, Jean-Maris Cavada, Virginie Rozière et l’eurodéputé sarthois : Marc Joulaud.

Comment cette nouvelle directive peut-elle rendre l’internet « plus juste » pour les créateurs de contenu ? Pour entreprises/société ? Pour les internautes ?

Aujourd’hui, grâce à internet et à l’émergence des plateformes, les citoyens n’ont jamais eu accès à autant d’œuvres, ce qui est une très bonne chose. Le problème c’est que cet accès n’a pas été accompagné par une juste rémunération des auteurs dont les œuvres sont exploitées et qui sont au cœur du modèle économique des plateformes. Concrètement, les grandes plateformes comme Youtube ou Soundcloud, dont le contenu est mis en ligne par les utilisateurs, refusent de négocier avec les auteurs ou leur imposent une rémunération au lance-pierre, en se prétendant irresponsables du contenu qui est sur leur site, tout en étant très heureux d’en tirer profit grâce à la publicité et à la collecte de données personnelles.

Cela crée une situation intenable pour les auteurs, dont plus de la moitié des revenus dépendent du numérique, car ces plateformes refusent de les payer et font de la concurrence déloyale avec les offres légales, comme Spotify ou Netflix, qui elles rémunèrent correctement les auteurs.

Cette Directive va mettre fin à cette situation en clarifiant que les grandes plateformes ont l’obligation de passer des accords avec les auteurs, en vue de les rémunérer pour l’usage de leurs œuvres. Cela sera positif pour les créateurs qui pourront vivre de leur passion, positif pour les internautes qui auront la certitude d’être dans un cadre légal et positif pour les entreprises dont les responsabilités seront claires. Au final cette Directive ne vise qu’à obliger les parties à s’asseoir à la table des négociations et à discuter sérieusement d’égal à égal, ce qui me semble être la définition même d’une relation juste et respectueuse.

Pouvez-vous expliquer pourquoi certains craignent que cette directive soit une entrave à la liberté d’expression ?

Cette crainte vient d’une tactique classique de lobbying : imaginer le scénario le plus extrême possible et prétendre que cela sera la réalité afin de manipuler l’opinion publique. Ici les opposants à la directive ont agité la menace de la censure en prétendant que la Directive allait imposer des filtres partout sur internet, supprimer le contenu des utilisateurs en masse ou encore interdire les « memes», alors que ce n’est pas du tout le cas. Ce que la Directive dit, c’est que les plateformes doivent collaborer avec les auteurs soit pour conclure des licences soit pour les aider à protéger leurs œuvres quand ils en font la demande. L’échelle de diffusion des contenus sur internet est telle (400h de nouvelles vidéos chaque minute sur Youtube) que cette coopération est indispensable si on veut un écosystème juste permettant aux auteurs d’être rémunérés.

Pour autant, la Directive interdit formellement que cette coopération aboutisse au retrait de contenus légaux ou protégés par les droits fondamentaux ou les exceptions au droit d’auteur (citation, parodie, etc.). Et en cas de problème, la Directive rend obligatoire la mise en place de mécanismes permettant aux consommateurs de contester et de faire corriger rapidement toute erreur. La liberté d’expression n’est donc absolument pas en danger.

Qui peut sérieusement penser que l’Union européenne, continent de loin le plus protecteur des libertés individuelles, voudrait imposer un régime de censure à ses citoyens ?

Il y avait quelque chose de très malsain selon moi dans cette stratégie de communication car pour beaucoup d’État membres et d’Européens, la censure ce n’est pas un concept abstrait mais quelque chose qu’ils ont vécu jusqu’à une période récente et les GAFA ont joué sur ce traumatisme à dessein.

Comment ont fonctionnés les lobbys et les institutions dans l’établissement de cette nouvelle directive ?

Les institutions ont travaillé comme pour n’importe quel autre texte législatif : la Commission européenne a travaillé en amont pour identifier les problèmes et proposer des solutions dans sa proposition de Directive. Le Parlement et le Conseil ont ensuite amendé chacun de leur côté la proposition, et maintenant les trois institutions négocient ensemble pour s’entendre sur un même texte. C’est le lobbying sur ce dossier qui a été hors du commun, pour ne pas dire extrême. Comprenons-nous bien, le lobbying en tant que tel n’est pas problématique et je considère cela comme étant nécessaire et sain. Mais les GAFA et leurs alliés des ONG ont déployés des moyens sans précédents et à la limite de l’éthique pour manipuler le grand public et faire pression sur les parlementaires.

On aura tout vu : des campagnes de spams, des camions publicitaires, des courriers, des insultes, des menaces de morts, etc. Le tout basé sur des mensonges éhontés conçus pour faire peur en jouant sur les inquiétudes légitimes des citoyens et financé grâce aux millions des GAFA. Leur acharnement est néanmoins devenu contre-productif car mes collègues ont fini par questionner la légitimité de cette campagne de lobbying et à voir que les accusations faites ne correspondaient en rien à la réalité du texte qui leur était proposé. C’est pour cela qu’au final le Parlement s’est prononcé en faveur de cette Directive à une très large majorité.

Quoiqu’il en soit, cette campagne va marquer durablement dans le Parlement tant c’était la plus intense et violente de ce mandat, à tel point que des enquêtes ont été lancées au Parlement pour faire toute la lumière sur les moyens employés et leur conformité avec les règles sur le lobbying.

Quels moyens juridiques sont/seront mis en place pour faire respecter cette directive ?

Les États membres auront entre un et deux ans pour transposer cette Directive dans leur droit national, il leur appartiendra ensuite de faire respecter la Directive telle que retranscrite dans leurs pays, comme n’importe quelle autre loi nationale. La Commission européenne s’assurera évidemment que tous les États retranscrivent fidèlement la Directive, comme c’est son rôle. De plus, des guides de bonnes pratiques seront réalisés en lien avec la Commission européenne pour aider à la fois les États et les personnes concernées par la Directive à correctement l’appliquer et ainsi favoriser une application similaire partout dans l’Union.

 


Cet article est tiré du magazine L’Europe en Sarthe : “Révolution numérique : les enjeux pour l’Union européenne”. En savoir +

Article mis à jour le 15/01/2019