L’Union européenne et le Royaume-Uni : it’s complicated !

Brexit : une si grande surprise ?

Le 23 juin 2016 les citoyens britanniques ont voté à 51.9% pour quitter l’Union européenne lors d’un référendum national. Ce référendum a été un moment fort pour les Britanniques d’exprimer leur identité et leur volonté de rupture avec le reste du continent. Si les résultats du référendum ont été un choc pour le reste des Etats européens, en réalité, l’histoire du Royaume-Uni montre la relation compliquée qu’il a toujours entretenu avec l’Union européenne, et encore aujourd’hui…

Le choix du “grand large”

Si en 1946 Winston Churchill se prononce en faveur des “Etats unis d’Europe”, dans les faits, les premiers pas de la construction européenne se feront sans le Royaume-Uni. Très attachés à l’intergouvernementalisme, les Britanniques voient le début des communautés européennes comme un projet trop supra-national. Ils ne font donc pas partie des premiers Etats à signer le Traité de Paris instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) en 1951. Au contraire, le Royaume-Uni est à l’origine de l’Association européenne de libre-échange (AELE) instituée en 1960 et signée par les ministres des affaires étrangères britannique, norvégien, danois, suisse, portugais, suédois et autrichien. Aucun de ces pays n’est alors membre de la Communauté économique européenne (CEE). Leur but était de contre-balancer cette communauté qui se fondait sur une union douanière et un marché commun : l’AELE visait à établir une zone de libre-échange entre les Etats membres.

Quand le Royaume-Uni frappait à la porte de l’Europe

En réalité, l’AELE espérait pouvoir établir une zone de libre-échange avec la CEE. Mais ce projet sera un échec. Le Royaume-Uni finit donc par faire sa première demande d’adhésion à la CEE en 1961 sous l’impulsion du Premier Ministre conservateur Macmillan. La demande d’adhésion d’un nouvel Etat doit être approuvée à l’unanimité par les membres déjà présents. Or, le Président de la République française, Charles De Gaulle, posera son veto par deux fois à la demande d’adhésion du Royaume-Uni :

  • En 1963 : le Royaume-Uni était fortement encouragé par les Etats-Unis à intégrer la CEE, ce qui n’était pas apprécié par le Président De Gaulle qui voyait par là une tentative des Etats-Unis de contrôler la communauté européenne. De plus, cette demande d’adhésion s’est faite en même temps que les premières négociations autour de la Politique Agricole Commune (PAC, 1962) au cours desquelles les Britanniques ont remis en cause plusieurs règles fondamentales sur les produits agricoles.
  • En 1967 : cette deuxième demande d’adhésion intervient en pleine crise de la politique de la chaise vide menée par Charles de Gaulle. La demande d’adhésion devant être approuvée par tous les Etats à l’unanimité, cela était impossible en l’absence de la France autour de la table des négociations.

Une intégration effective, mais incomplète

Après de longues négociations entre les Communautés européennes et le gouvernement britannique, les deux parties arrivent à un accord en juin 1971. Cet accord fut largement accepté au Parlement britannique. L’élargissement à l’Irlande 🇮🇪, au Danemark 🇩🇰 , au Royaume-Uni 🇬🇧 et à la Norvège 🇳🇴 fut soumis à un référendum en France en 1972. Le OUI l’emporte à 68%. Le peuple norvégien votera contre la ratification du traité d’adhésion lors d’un référendum national en septembre 1972. Le Royaume-Uni devient donc membre officiel de la CEE au 1er janvier 1973, en même temps que l’Irlande et le Danemark.

Malgré l’adhésion à la CEE, les divergences d’opinion entre les principaux partis politiques britanniques (travaillistes et conservateurs) restent importantes. Dès 1975 un référendum est organisé au Royaume-Uni sur le maintien ou non dans la CEE auquel 67% des votants répondront vouloir rester membres des communautés. Le soutien du public à l’intégration européenne fut donc confirmé grâce à ce référendum mais des problèmes non-résolus restaient en suspens comme la contribution britannique au budget et la PAC.

Les années 1980 et 1990 seront marquées par Margaret Thatcher et son célèbre “I want my money back”. Si elle est souvent citée par les politiques les plus eurosceptiques, en réalité, elle était pour une forme d’intégration européenne plus poussée : l’ouverture du marché européen. En signant l’Acte unique européen en 1986, instaurant le marché unique, elle a participé à l’avancée de l’intégration politique et à l’harmonisation des règles au sein de l’espace européen.

Les discussions sur l’Union économique et monétaire (UEM) ont continué à attiser les esprits eurosceptiques au Royaume-Uni, ravivant le sentiment d’une perte de souveraineté et de menace sur leur identité britannique. La signature du Traité de Maastricht (1992) fut difficile, et c’est à partir de là qu’à quasiment chaque traité, les Britanniques négocieront des options de retrait (options “d’opting out“). Au final, en 2016, année du référendum du Brexit, le Royaume-Uni ne participait pas aux politiques suivantes :

  • L’Espace Schengen (1985) : espace de libre-circulation des biens et des personnes, abolissant les frontières entre les 26 membres de cet espace ( 22 de l’🇪🇺 + 🇮🇸,🇳🇴,🇨🇭,🇱🇮).
  • L’Union économique et monétaire (1992) : Etats ayant adopté l’euro ou qui devront l’adopter
  • La Charte des Droits fondamentaux de l’UE (2000) : protection des droits civiques et sociaux des citoyens de l’UE
  • L’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice : libre circulation des personnes, politique d’asile, lutte contre la criminalité, reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires.

 


“Une union sans cesse plus étroite” ?

Selon son préambule, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (Maastricht) vise à “établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens”. Ce sera sur ce point que le Royaume-Uni réussira à négocier son dernier opting-out : avant d’organiser officiellement le référendum, David Cameron négocie avec les dirigeants européens que la phrase “une union sans cesse plus étroite” ne s’applique plus aux Britanniques. Après avoir assuré cet accord avec l’UE, il organise le référendum pour juin 2016, en espérant que cette dernière option de retrait influe le vote.

Or, le 23 juin 2016 c’est bien une majorité de 52% qui vote pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. La nouvelle est reçue comme un choc au Royaume-Uni et dans le reste de l’UE, tant l’opinion publique était divisée et aucune issue n’était certaine. David Cameron se retire alors du 10 Downing Street et laisse la place à Theresa May, qui entre en fonction en juillet 2016.

Le processus de sortie du Royaume-Uni

La Première Ministre Theresa May lance officiellement le processus de sortie du Royaume-Uni le 29 mars 2017, en envoyant une lettre au Président du Conseil européen, Donald Tusk, dans laquelle elle précise que le Royaume-Uni souhaite activer l’Article 50 TUE. La durée des négociations est de deux ans, fixant ainsi la date de sortie du Royaume-Uni au 29 mars 2019.

De difficiles négociations commencent dès juillet 2017 et aboutissent en novembre 2018 à la signature d’un accord entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. Or, le texte de cet accord est rejeté à deux reprises par le Parlement britannique. Le gouvernement soumet alors au vote la proposition d’une sortie sans accord (“no-deal”), qui est elle aussi refusée. Lors du sommet européen du 21-22 mars 2019, Theresa May demande alors à l’UE et à ses 27 Etats membres un report de la date de sortie jusqu’au 30 juin. L’UE accepte :

  • un report au 22 mai si l’accord de sortie est accepté par le Parlement britannique
  • un report au 12 avril si l’accord de sortie est encore une fois rejeté

Le 29 mars 2019, l’accord de sortie est soumis au vote de la Chambre des Communes pour la troisième fois et est rejeté. La crise politique britannique s’aggrave encore plus avec la possibilité d’un no-deal le 12 avril. Un sommet européen extraordinaire est convoqué le 10-11 avril au cours duquel le Président du Conseil, le négociateur en chef pour l’UE (Michel Banier) et les 27 Etats membres acceptent d’accorder au Royaume-Uni un report de la date de sortie jusqu’au 31 octobre 2019.

Pourquoi le 31 octobre 2019 ? 🗓

2019 étant une année électorale pour l’Union européenne, le Parlement européen mais également la Commission européenne vont changer. L’entrée en fonction de la nouvelle Commission (Président et commissaires) est fixée au 1er novembre 2019. La date du 31 octobre a donc été choisie comme dernier délai pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE pour que le sujet soit clos à la prise de fonction de cette nouvelle Commission.

Que va-t-il se passer pendant ce temps-là ? ⏳

L’accord de sortie trouvé entre l’UE et le Royaume-Uni ne pouvant être renégocié, Theresa May va encore essayer de le faire approuver par le Parlement britannique. Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni reste un Etat membre à part entière de l’UE et doit donc agir en tant que tel.

Cependant, ce report est considéré “flexible”, c’est-à-dire que si l’accord est approuvé avant la date du 31 octobre ou qu’une alternative satisfaisante pour les deux parties est trouvée, le Royaume-Uni pourra quitter l’UE plus tôt.

Quid des élections européennes ? 🗳

Le Royaume-Uni a fixé la date du scrutin au 23 mai 2019, tout en espérant ne pas avoir à les organiser. Or, juridiquement, si le Royaume-Uni est encore membre de l’Union européenne au moment des élections, il est tenu d’y participer. Cela bouscule les règles électorales qui avait été mises en place pour le scrutin de cette année. En effet, avec la sortie des Britanniques de l’UE, une partie de leurs sièges au Parlement européen avait été donnée aux Etats membres dont la population a augmenté. La France notamment y gagnait cinq sièges, passant de 74 à 79 députés. Si le Royaume-Uni organise les élections, la France n’élira que 74 députés, comme lors des scrutins précédents. Mais à la sortie effective du Royaume-Uni, cinq nouveaux députés français rejoindraient l’hémicycle, comme cela était prévu dès le départ.

Près de trois ans après le référendum outre-Manche le problème semble loin d’être résolu avec tous les scénarios encore possibles : une sortie sans accord, un nouveau report, une annulation du Brexit. Comme une série à suspens, la saga Brexit nous tient en haleine, sans que l’on puisse répondre aux nombreuses questions que cela suscite.

La suite, au prochain épisode… 🎬

Article publié le 16/04/2019